Alors que le Salon International de l’Agriculture au Maroc (SIAM) bat son plein à Meknès, une réflexion de fond s’impose sur le rôle clé de la recherche scientifique dans la transition agricole de la région méditerranéenne.
Loin d’être propre au Royaume, les défis agricoles auxquels fait face le Maroc — stress hydrique, chute de la biodiversité, jeunesse rurale en quête de perspectives — sont aussi ceux de ses voisins méditerranéens. C’est dans ce contexte que le partenariat scientifique devient une réponse stratégique incontournable.
Deux figures féminines de la recherche marocaine, Zhour Bouzidi et Salama El Fatehi, en ont témoigné à l’occasion du SIAM 2025. Enseignantes-chercheuses respectivement à l’université Moulay Ismaïl de Meknès et à l’université Abdelmalek Essaadi de Larache, elles portent un message fort : sans collaboration, pas de recherche pertinente ni adaptée.
Une collaboration transméditerranéenne au service de l’innovation agricole
Les deux chercheuses font partie de projets structurants menés avec des partenaires européens, notamment avec le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), l’un des acteurs majeurs de la coopération scientifique Sud-Nord. Dans le cadre du projet européen ARISER, Salama El Fatehi travaille sur l’accès à la diversité cultivée et sa contribution à la résilience des agroécosystèmes. Quant à Zhour Bouzidi, elle pilote au Maroc les travaux du projet eGroundwater, centré sur la gestion durable des ressources en eau.
Pour Salama El Fatehi, la coopération scientifique permet d’enrichir les approches et de confronter les méthodes. « Échanger avec d’autres institutions scientifiques implique forcément de confronter des champs de vision, des méthodes, des expériences », explique-t-elle. Une posture qui renforce la qualité des travaux, en élargissant les cadres de pensée et en multipliant les angles d’analyse.
Au cœur de cette coopération se trouve également un enjeu de transmission. Les partenariats entre instituts ne se résument pas à la recherche, ils s’inscrivent aussi dans une logique de formation. Les deux chercheuses insistent sur la nécessité d’accompagner les jeunes chercheurs, en leur offrant des opportunités de mobilité, d’encadrement partagé et de participation à des projets internationaux.
Zhour Bouzidi revient sur son propre parcours, façonné dès le départ par la coopération scientifique : de son mémoire réalisé dans le cadre du réseau SIRMA (« Systèmes irrigués au Maghreb ») à sa thèse en France, chaque étape a renforcé ses compétences et élargi ses horizons. Aujourd’hui, elle encadre à son tour des étudiants dans des masters co-construits entre universités marocaines et européennes.
Ces coopérations ont également un impact concret sur les politiques publiques. Les projets pilotés au Maroc par le Cirad et ses partenaires s’intéressent à la fois à la recherche-action et à l’innovation sociale. Les résultats nourrissent les stratégies nationales telles que « Génération Green » et offrent des outils scientifiques pour orienter la prise de décision.
Ainsi, les échanges Sud-Nord ne se contentent pas de faire progresser la recherche : ils facilitent aussi l’appropriation locale des innovations, qu’il s’agisse de gestion de l’eau, de diversification des cultures ou d’agriculture durable. En tissant des liens étroits entre chercheurs, décideurs et praticiens, ces réseaux contribuent à une approche systémique des défis agricoles.
Un plaidoyer pour la confiance et la solidarité
La réussite de ces partenariats repose avant tout sur la confiance, affirment les deux chercheuses. Face à la complexité administrative, notamment en matière de gestion financière des projets entre pays aux régimes différents, il est essentiel de construire des relations humaines solides et durables. Cela passe par une volonté partagée de faire progresser la recherche au service des territoires.
« Le travail doit pouvoir se faire par plaisir et suivre un objectif d’excellence scientifique », résume Salama El Fatehi. De son côté, Zhour Bouzidi insiste sur la dimension humaine et intergénérationnelle des réseaux de coopération : « Les regards croisés de différentes générations et de disciplines diverses enrichissent les approches. »
Les écosystèmes méditerranéens, fortement impactés par le changement climatique, la rareté de l’eau et la pression démographique, ont tout à gagner à s’inspirer les uns des autres. Le SIAM 2025, en réunissant chercheurs, décideurs et praticiens, s’impose comme une plateforme stratégique pour échanger sur les solutions à mettre en œuvre.
En renforçant la coopération scientifique régionale, le Maroc joue pleinement son rôle de leader dans la transformation agricole en Méditerranée. Une transformation qui ne pourra se faire sans l’appui de la science, mais surtout sans les femmes et les hommes qui, au quotidien, la portent avec rigueur, engagement et générosité.