Récoltes prévisionnelles: Les secrets de la procédure marocaine.
La récolte céréalière prévisionnelle pour la campagne 2016-17 serait-elle «surestimée»? Comment évaluez-vous les prévisions des différentes filières?
Mohamed Sadiki: La prévision des récoltes repose sur une méthodologie statistique appliquée depuis près de 30 ans, renforcée par des outils modernes. Ainsi, la production prévisionnelle est constituée de deux composantes, les superficies et les rendements. Les superficies cultivées sont issues de l’enquête occupation du sol, redressées le cas échéant, par les autres sources de données disponibles au niveau des services de proximité du ministère. Les rendements sont estimés lors de l’enquête prévisionnelle menée par les services statistiques du département de l’Agriculture. Cette enquête recoupe trois sources d’estimation: celle des techniciens enquêteurs, celle de personnes ressources parmi la population agricole et l’estimation réalisée par les conseillers agricoles. Ces trois sources sont consolidées et évaluées selon une procédure de scoring. Les résultats sont ensuite discutés au niveau des directions provinciales et régionales de l’agriculture puis transmises à la direction de la stratégie et des statistiques pour consolidation.
Peut-on comprendre qu’il s’agit d’une méthode fiable à 100%?
Mohamed Sadiki: Tout à fait. De plus, avec le développement des outils de prévision, notamment les méthodes d’observation de la terre, le département de l’Agriculture s’est doté d’un outil puissant de suivi satellitaire de l’état de la végétation à l’échelle même intra communale (CGMS-Maroc). Les données satellites sont couplées aux données climatiques issues des relevés quotidiens de la direction de la météorologie nationale. Ce qui permet de réaliser des prévisions précoces. Le dispositif reposant sur la combinaison des deux approches, celle basée sur les enquêtes de terrain et celle basée sur l’analyse des images satellitaires a permis d’améliorer significativement la qualité des prévisions.
Qu’en est-il pour les prévisions de la campagne actuelle?
Mohamed Sadiki: Le régime pluviométrique est globalement favorable et bien réparti à l’exception de certaines zones situées dans les régions arides qui ont souffert d’un déficit hydrique de fin de cycle. Le mois de mars a connu des précipitations variant entre 20 et 40 mm au niveau des principales zones céréalières. Ceci a été conjugué à une évolution favorable du profil des températures depuis le début du cycle des cultures d’automne. L’examen du couvert végétal à fin mars, qui affiche un niveau comparable aux bonnes campagnes céréalières des années précédentes, étaye ce constat. La campagne céréalière de cette année est tirée par les grandes zones favorables, le cas de Saïss, la basse Chaouia, le Gharb, le Zaër, le Nord et les périmètres irrigués. Dans les zones favorables, les précipitations ont été très bien réparties et ont cumulé dans ces zones entre 300 et 500 millimètres. Seule la région de Marrakech-Safi, en particulier les provinces de Rhamna, El kelâa, Youssoufia et Chichaoua, présente un profil climatique en dessous de la moyenne, ce qui limite le niveau de rendement de ces provinces.
Les conditions climatiques étaient-elles favorables?
Mohamed Sadiki: Effectivement. Le progrès technique et technologique réalisé par l’agriculture marocaine au cours des dix dernières années et tel que confirmé par les récents résultats de recensement agricole 2016, a impacté à la hausse les niveaux de rendement et permis d’enregistrer les résultats prévisionnels. En effet, le taux d’utilisation des semences sélectionnées est passé de moins de 17% au début des années 2000 à plus de 40% actuellement. La mécanisation est quasi généralisée dans la production des céréales, tirée par les incitations à l’investissement qui ont permis l’équipement des exploitations et le développement des services de mécanisation. Ainsi, la production céréalière au Maroc est la résultante des conditions climatiques des zones à fort potentiel céréalier, du progrès technique, des efforts inlassables des agriculteurs. De plus, cette campagne est marquée par la propreté des champs de céréales sans impact de mauvaises herbes et de maladies et ravageurs. L’estimation prévisionnelle de la production céréalière effectuée pour la campagne 2016/2017 réalisée comme précisé plus haut, est de 102 millions de quintaux (qx), composée de 49,4 millions qx de blé tendre, 23,3 millions qx de blé dur et 28,9 millions d’orge.
Est-ce que le Plan Maroc Vert (PMV) a-t-il apporté des changements structurels?
Mohamed Sadiki: Sans aucun doute. Les rares déclarations et allégations erronées qu’on entend sont le fait d’une méconnaissance de la réalité du terrain et le fruit de généralisation des situations du passé ou de schémas mentaux vécus il y a longtemps. Alors que le secteur agricole aujourd’hui connaît une évolution rapide et des progrès notables jamais enregistrés. En effet, notre pays a lancé une stratégie solide et intégrée de développement de son agriculture, le PMV qui capitalise toutes les expériences passées de développement agricole de notre pays. Cette stratégie intersectorielle repose sur le long terme et ambitionne une agriculture durable et innovante pour être compétitive et socialement intégrée. Le PMV a changé l’agriculture marocaine et posé les fondements d’un nouvel ordre agraire. La production agricole a significativement augmenté dépassant les objectifs pour la plupart des filières, assurant une augmentation de la disponibilité alimentaire par habitant, une amélioration du revenu des agriculteurs et une augmentation significative du PIB agricole.
Et en termes de valeur ajoutée?
Mohamed Sadiki: Depuis son lancement en 2008, le PMV a permis, à ce jour, de dépasser plusieurs contraintes structurelles et conjoncturelles qu’a connues traditionnellement l’agriculture marocaine. La mobilisation active de tous les acteurs (publics et privés) autour de cette stratégie a replacé le secteur agricole au centre de l’économie en tant que moteur de la croissance. Elle a permis une augmentation du PIB agricole entre 2008 et 2015. Ce dernier est passé de 68 milliards de DH en 2008 à 120 milliards de DH en 2015, soit une augmentation de +74%. Rien que pour 2016, l’année la plus sèche sur les dernières décennies, le PIB agricole est de près de 108 milliards de DH. En outre, ce plan inclusif cible tous les acteurs du secteur et n’exclut aucun type d’exploitation ni aucune filière. En chiffres, le total des subventions distribuées à travers le Fonds de développement agricole (FDA) est passé de 40% en 2010 à 60% en 2015 en faveur des petits agriculteurs. Le nombre de dossiers des petits agriculteurs est passé de 68% en 2010 à plus de 78% en 2015 (avec 64.000 petits agriculteurs juste en 2015), au moment où les dossiers des grands agriculteurs de plus de 50 ha ne représentent que 5% des dossiers en 2015 et ceux des moyens agriculteurs 18%.