A la rencontre d’une agricultrice de Tafraout, fondatrice de la première coopérative féminine d’argan.
C’est au cœur de la vallée d’Ammeln à Tafraout, dans l’Anti Atlas marocain, que Sarah Zouak fondatrice de l’association Lallab, rencontre la première fondatrice de la région d’une coopérative féminine d’argan. Entretien avec Khadija Elharim, une femme marocaine, véritable actrice du changement dans son village.
Tafraout est une petite ville amazigh située au sud d’Agadir et réputée pour sa merveilleuse vallée de rocs aux teintes rosées. Au milieu des forêts et des maisons colorées, les habitant(e)s cultivent des céréales, des amandes, des olives mais surtout de l’argan. Ce décor de rêve cache néanmoins certaines disparités au sein de la région, un exode rural important et une sécheresse des terres.
C’est dans la vallée d’Ammeln que Khadija Elharim naît en 1953 et qu’elle éduque plus tard seule ses cinq filles. Khadija est en effet divorcée, et insiste pour le faire remarquer, car elle n’est pas peu fière d’être la première femme de son village à avoir osé franchir ce pas. Le divorce est un droit encore tabou pour les femmes rurales marocaines. C’est pourtant cela qui l’a poussée à enseigner à ses filles la nécessité d’étudier pour qu’elles deviennent des femmes totalement indépendantes.
L’une d’elle, aujourd’hui première femme à intégrer un poste technique au sein de la commune d’Ammeln, nous confie d’ailleurs que sa mère représente non seulement un modèle pour elle et ses sœurs, mais surtout pour toutes les femmes du village. Khadija est reconnue pour son courage, son engagement, son humanisme mais surtout parce qu’elle est la première femme de la région à avoir fondé une association et une coopérative.
Un conflit qui mène à la prise de conscience des intérêts des femmes de Tafraout
C’est en 1997 que Khadija co-crée Tifawin, l’Association féminine pour le soutien social et pour la préservation de l’arbre d’arganier et pour l’environnement, dont elle devient la vice-présidente. Elle fonde également la coopérative du même nom qu’elle préside depuis sa création.
La création de ces deux structures trouve son origine dans un événement particulier : un conflit de voisinage. Une année, alors que les pluies étaient généreuses et que les femmes cultivaient les graines d’argan qu’elles avaient semées, elles réalisèrent que les chèvres du voisin ravageaient entièrement les champs et leurs récoltes. Ce qui ne devait être qu’un petit incident à régler à l’amiable se transforme alors en une véritable procédure judiciaire. Khadija et trois autres femmes de différentes communes se réunissent pour défendre les droits des femmes du village à cultiver leurs récoltes, mais malgré les interventions de la gendarmerie et du tribunal, le voisin refuse de coopérer et s’en prend à elles physiquement.
C’est finalement au tribunal de Tiznit, lorsqu’elles apportent les certificats prouvant la violence du voisin, que les autorités leur demandent pourquoi elles n’ont pas pensé à créer une association pour se regrouper et défendre leurs intérêts.
L’association et la coopérative Tifawin
Afin de développer et de préserver les cultures d’argan, d’olives ou de céréales, Khadija fonde alors l’association Tifawin au sein de laquelle les femmes peuvent cultiver sereinement et collectivement leurs terres. Peu de temps après et afin que celles-ci puissent vivre de leur travail, Khadija crée la première coopérative féminine de la région.
L’huile d’argan est connue pour son utilisation dans la cuisine traditionnelle et pour ses propriétés cosmétiques valorisées dans des huiles pour le corps ou dans du savon. Elles mettent ainsi en vente des produits naturels issus d’un savoir-faire traditionnel dans plusieurs points de vente de la région. Les femmes de l’association développent elles-mêmes leur projet au fur et à mesure et créent ainsi une serre pour la plantation d’arbre d’arganier ainsi qu’une pépinière, ce qui permet de planter plus de 2 000 arbres fruitiers et de donner du travail à plusieurs femmes pendant deux ans.
Parallèlement à la culture de l’argan, Khadija met en place des cours d’alphabétisation pour les femmes ainsi que des cours pratiques. Celles-ci peuvent ainsi bénéficier aussi bien de cours de broderie sur le cuir afin de créer puis de vendre auprès des hôtels de la région des coussins, des babouches ou des ceintures, que de cours de cuisine pour fabriquer des confitures à base de figues, d’abricots ou de fraises.
La création de ces deux structures – l’association et la coopérative – s’est faite grâce à l’aide du ministère de l’Agriculture du Maroc, et plus précisément grâce à la Direction provinciale d’agriculture (DPA). Le Maroc a en effet adopté un programme pour le développement du secteur agricole depuis l’élaboration du Plan Maroc Vert, une stratégie nationale qui vise à faire de l’agriculture le principal moteur de croissance de l’économie marocaine. C’est la DPA qui fournit à la coopérative Tifawin les machines pour l’emballage des produits, et l’Initiative nationale de développement humain (INDH) qui leur cède celles pour le remplissage et le filtrage. Enfin, Khadija a pu bénéficier de l’aide de bénévoles d’associations nationales et internationales pour l’obtention d’un local ou pour l’expertise terrain dans la préservation et la culture des différentes plantes.
Tifawin, source de changement pour les femmes du village
Depuis la création de l’association et de la coopérative, les conditions de vie des femmes de la région se sont nettement améliorées : en plus d’accéder pour la première fois à un revenu, elles ont pris conscience de leur force et les hommes ont réalisé l’importance du rôle des femmes dans l’économie locale.
Cela peut sembler dérisoire pour certain-e-s, mais à Tafraout, aller au souk ou travailler était une honte pour les femmes et restait réservé uniquement aux hommes. Khadija nous explique fièrement qu’aujourd’hui « nous pouvons tout faire » car les mentalités ont véritablement changé. Elle est fière de nous indiquer qu’elle possède sa propre maison et qu’elle n’est au nom d’aucun homme de sa famille.
Elle me raconte aussi avec beaucoup d’émotion son premier voyage en dehors du Maroc. Khadija et ses collègues étaient les invités d’honneur d’une foire agricole allemande où elles ont pu avec beaucoup de fierté exposer leurs produits du terroir. Les femmes ont enrichi leurs connaissances grâce à d’autres voyages de formation durant lesquels elles ont pu découvrir de nouvelles villes et apprendre sur leur métier, notamment sur les thématiques liées à l’élevage d’abeilles, de poulets ou de chèvres.
Il faut noter cependant que ces femmes rencontrent beaucoup de difficultés. Si la production des produits issus de l’argan est conséquente, elles ont beaucoup de mal à commercialiser leurs produits à une échelle plus grande que celle de la région. De plus, le nombre de coopératives s’est multiplié ces dernières années, ce qui a accru la concurrence entre ces différentes structures.
Aujourd’hui, Khadija Elharim demeure toujours autant engagée pour les droits des femmes et elle est devenue conseillère auprès de sa commune. Grâce à son travail, elle se sent libre et souhaite que « toutes les femmes marocaines puissent avancer librement et réaliser leurs rêves ».
Sa devise pour avancer : « santé, bonheur et islam », car comme elle me l’explique, c’est dans la religion qu’elle a trouvé la force d’agir.