Les plantes invasives, souvent redoutées pour leur capacité à coloniser de nouveaux territoires, bénéficieraient-elles d’un avantage caché ? Une récente étude menée par une équipe de scientifiques suggère que ces plantes pourraient se libérer de leurs agents pathogènes en arrivant dans un nouvel environnement, facilitant ainsi leur implantation et leur expansion. Cette hypothèse a été testée à travers l’examen de Bothriochloa barbinodis, une graminée originaire des Amériques, introduite en France dans les années 1960.
« Souvent, une plante arrive sur un nouveau territoire exempte de virus », explique Philippe Roumagnac, virologue au Cirad. Cette théorie repose sur le fait que les graines, qui sont généralement le moyen de transport des plantes, ne véhiculent que très peu de virus. La transmission virale se fait majoritairement par les insectes, lesquels ne reconnaissent pas immédiatement une plante étrangère. Par conséquent, une plante invasive comme Bothriochloa barbinodis, en débarquant en France, se trouve initialement libérée des virus de son habitat d’origine et semble échapper aux virus locaux dans un premier temps.
Bothriochloa barbinodis, identifiable par ses tiges surmontées d’un plumeau blanc visible dans le sud de la France de juillet à octobre, aurait été introduite accidentellement dans l’hexagone entre 1964 et 1976 via le commerce de laine avec les Amériques. Pour tester l’hypothèse de l’échappement viral, les chercheurs ont comparé les communautés virales des populations de cette graminée en Arizona, son territoire d’origine, avec celles de populations établies en France ainsi qu’avec celles de treize autres graminées indigènes dans les deux régions.
Les résultats sont édifiants : les plantes introduites en France ne portaient plus les virus présents en Arizona, confirmant l’hypothèse que Bothriochloa barbinodis s’était initialement affranchie de ses pathogènes d’origine. Toutefois, ce répit n’est que temporaire. « On voit que l’espèce interagit aujourd’hui avec des virus locaux », précise Virginie Ravigné, écologue au Cirad. C’est le phénomène de naturalisation : après plusieurs décennies, les plantes invasives commencent à contracter les agents pathogènes de leur nouvel environnement.
L’absence initiale de maladies permet à la plante de s’épanouir sans entrave, facilitant sa colonisation du nouveau territoire. Cependant, à terme, les insectes locaux finissent par reconnaître la plante et la contaminent avec les virus locaux, ce qui peut avoir des conséquences écologiques significatives.
La possibilité pour une plante invasive d’apporter avec elle des virus de son habitat d’origine pose également un risque pour les écosystèmes locaux. Comme le souligne Philippe Roumagnac, « l’introduction de nouveaux végétaux comporte toujours un risque sanitaire important pour un écosystème ». Cela souligne la nécessité d’améliorer nos connaissances sur la diversité, la distribution et la circulation des virus dans les écosystèmes.
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Malgré les avancées en virologie, l’écologie des virus reste une discipline encore largement inexplorée. Comprendre comment les virus interagissent avec les plantes dans différents environnements pourrait permettre de mieux prévoir les conditions favorisant la transmission virale entre espèces. L’étude menée sur Bothriochloa barbinodis s’inscrit dans cette perspective, en associant des chercheurs internationaux pour explorer les dynamiques virales dans le contexte de l’invasion végétale.
Afin de limiter la propagation des maladies, notamment dans les cultures commerciales comme la canne à sucre, le Cirad propose un service de quarantaine appelé Visacane. Ce service garantit le transfert de matériel végétal sain en soumettant les boutures à une période de quarantaine de deux ans, durant laquelle elles sont testées et assainies. Cette précaution est cruciale, car une seule bouture contaminée pourrait infecter un écosystème entier, rendant la lutte contre un virus quasiment impossible une fois qu’il s’est installé.
Cette étude met en lumière l’importance de la surveillance sanitaire dans les échanges de plantes et la nécessité de poursuivre les recherches en écologie virale pour anticiper et contrôler les risques d’émergence de maladies. Les plantes invasives, en échappant initialement à leurs pathogènes, nous rappellent combien il est essentiel de comprendre les interactions complexes entre espèces, virus, et écosystèmes pour protéger la biodiversité.