La perspective de déguster un jus d’orange frais ou de croquer dans un citron pourrait-elle devenir un luxe réservé à quelques privilégiés dans un futur proche ? Cette question, aussi inquiétante soit-elle, mérite d’être posée. En effet, le monde agrumicole est aujourd’hui confronté à une menace d’une ampleur inédite : le Huanglongbing (HLB), également connu sous le nom de « citrus greening ». Cette maladie dévastatrice, qui sévit déjà en Asie, en Amérique et dans plusieurs pays africains, pourrait bien condamner la production mondiale d’agrumes.
Si la demande mondiale pour les agrumes a conduit à une augmentation des plantations ces dernières années, le développement du HLB fait peser une lourde menace sur cette dynamique. Les effets économiques sont déjà dramatiques. En Floride, où la maladie a particulièrement sévi, la production d’oranges a chuté de plus de 60 % en l’espace de quelques années, entraînant une perte de 3 milliards de dollars et l’évaporation de milliers d’emplois. Le jus d’orange, qui faisait autrefois la fierté de cet État américain, est devenu un produit rare et cher, son prix ayant doublé en un an seulement.
Le Brésil, autre géant de l’agrumiculture, ne fait pas exception. Dans l’état de São Paulo, l’utilisation massive de pesticides pour contrôler la propagation de la maladie n’a pas suffi. Le taux d’infection des arbres a grimpé à 38 % dans certaines fermes, suggérant une résistance croissante des insectes vecteurs aux traitements chimiques. Face à cette situation, certains producteurs n’ont d’autre choix que de déplacer leurs plantations vers des régions encore épargnées.
À l’origine de ce désastre, une bactérie insidieuse du genre Candidatus Liberibacter qui se loge dans les vaisseaux conducteurs de sève des agrumes, les obstruant progressivement jusqu’à provoquer la mort de l’arbre. Ce microorganisme est transmis par des insectes piqueurs-suceurs, les psylles, véritables fléaux pour les agriculteurs. Une seule piqûre de ces petits insectes suffit à infecter un arbre. Parmi eux, le psylle asiatique (Diaphorina citri), présent en Asie, aux Amériques, dans les Caraïbes et désormais en Israël, est le vecteur le plus redoutable. La récente découverte de cet insecte à Chypre, en plein cœur de la Méditerranée, alarme les experts, d’autant plus que le réchauffement climatique pourrait favoriser son expansion.
Face à l’ampleur de la crise, la recherche s’organise et explore plusieurs pistes pour tenter de contenir l’épidémie. Dans le bassin méditerranéen, par exemple, la lutte biologique s’intensifie avec des lâchers massifs de parasitoïdes, de petits insectes qui pondent leurs œufs dans les psylles, les détruisant ainsi de l’intérieur. Parallèlement, un suivi épidémiologique rigoureux est mis en place pour détecter et éradiquer les premiers foyers d’infection.
Mais la véritable solution pourrait venir des laboratoires. Des travaux de recherche récents ont identifié des variétés d’agrumes et de porte-greffes potentiellement résistants au HLB. Le citron caviar, par exemple, montre des signes de résistance stricts. En croisant ces variétés avec des agrumes cultivés, les chercheurs espèrent développer des plants capables de résister à la maladie, offrant ainsi une alternative durable à l’utilisation massive de pesticides.
L’avenir de l’agrumiculture mondiale est incertain. Si des solutions innovantes ne sont pas rapidement développées, des pans entiers de cette industrie pourraient disparaître, entraînant avec eux des milliers d’emplois et un produit de consommation quotidien pour des millions de personnes. La lutte contre le Huanglongbing est donc une urgence mondiale, nécessitant des efforts concertés des chercheurs, des agriculteurs et des gouvernements. Le combat est loin d’être gagné, mais l’espoir demeure que, grâce à la science, nous pourrons encore savourer des agrumes dans les années à venir.