Afrique du Sud: la réforme agraire, un sérieux test pour l’Administration Ramaphosa.
Arrivé au pouvoir en février dernier en remplacement du très controversé Jacob Zuma, le président sud-africain Cyril Ramaphosa s’est engagé à accélérer la réforme agraire, un programme qui suscite d’énormes inquiétudes dans un pays qui tente tant bien que mal de se libérer des vieux démons de la ségrégation raciale.
Le débat sur cette question, qui animait la scène politique sud-africaine depuis la fin du régime de l’apartheid en 1994, a pris une nouvelle tournure en mars dernier suite à l’adoption par le parlement d’un texte prévoyant l’expropriation des terres des Blancs sans compensation et leur distribution aux paysans noirs.
Il s’agit d’un sujet sensible dans ce pays où l’agriculture reste largement aux mains des Blancs, qui détiennent actuellement 73 pc des terres agricoles contre 85 pc à la fin de l’apartheid.
Conscient de l’importance de cette question et soucieux de calmer les esprits dans un contexte de tension sociale accrue, le président Ramaphosa s’est engagé à accélérer la redistribution des terres dans le but de panser les plaies du passé.
Les observateurs de la scène sud-africaine estiment que cette réforme d’envergure s’inscrit dans le cadre de la longue lutte pour la liberté économique toujours livrée dans ce pays au passé douloureux.
Le président Ramaphosa a, lui-même, reconnu dans un discours prononcé le 25 avril dernier à l’occasion de la journée de la liberté, que «le chemin vers une véritable liberté et vers une économie inclusive est toujours long».
Dans ce contexte, la réforme dans laquelle le nouveau patron de l’Union Building (quartier général du gouvernement à Pretoria) s’est engagé représente bel et bien un véritable test pour son autorité et son leadership.
Ramaphosa, dont l’arrivée au pouvoir a suscité d’énormes espoirs dans un pays plombé par de nombreux déficits sociaux, devra naviguer dans des eaux troubles dans la gestion de cette réforme épineuse.
En effet, depuis son ouverture officielle par Ramaphosa, le dossier a suscité une large polémique dans les rangs l’opinion publique et au sein des différents cercles politiques et économiques.
De nombreux rapports ont mis en garde contre une répétition en Afrique du Sud du scénario zimbabwéen, en référence à la réforme agraire mise en œuvre au Zimbabwe au début des années 2000 par le régime totalitaire de l’ancien président Robert Mugabe et qui s’est achevée dans la violence et l’effondrement de la production agricole.
Le débat sur la redistribution des terres intervient au moment où le secteur agricole sud-africain traverse une période difficile, ponctuée par une longue sécheresse et d’énormes problèmes sécuritaires.
Le gouvernement dirigé par le Congrès National Africain (ANC) se montre rassurant, soulignant qu’aucun effort ne sera épargné pour réussir la réforme tout en préservant le secteur agricole de tout dérapage.
Les craintes sont palpables parmi les fermiers blancs. Nombreux parmi eux envisagent déjà de délocaliser leurs investissements dans d’autres pays, comme l’Australe et la Nouvelle Zélande.
Une autre catégorie de grands propriétaires est également directement concernée par cette réforme historique. Il s’agit des leaders traditionnels qui contrôlent de larges terrains agricoles.
Des analyses publiées depuis le début de l’année ont mis en garde contre les tensions que cette réforme risque de créer avec ces acteurs clefs dans le tissu politique et social du pays.
Goodwill Zwelithini, roi des Zoulous et le plus influent parmi les leaders traditionnels, a exprimé de profondes préoccupations au sujet de cette réforme. Il est allé même jusqu’à mobiliser ses sujets contre le projet gouvernemental.
Selon Zwelithini, les Zoulous ne permettront jamais que leurs terres soient confisquées et qu’ils étaient prêts à mourir pour défendre «leur droit».
Face au renforcement de l’opposition contre la réforme agraire, le président Ramaphosa se veut à la fois rassurant et déterminé à mettre en œuvre son projet.
La réforme agraire est essentielle pour la concrétisation de l’objectif de la liberté économique pour les Sud-Africains, a-t-il dit lors des festivités marquant la journée de la liberté (27 avril).
«Nous sommes engagés en faveur de l’accélération de la redistribution des terres, en zones urbaines comme dans le monde rural», a-t-il souligné, ajoutant que cette réforme ne menacera en aucun cas la sécurité alimentaire ni la production agricole.
Les analystes estiment que ce projet de réforme est avant tout un message politique par le biais duquel l’ANC tente de reconquérir le soutien perdu de larges franges de la population.
Depuis la fin de l’apartheid, le parti au pouvoir n’a pas su concrétiser de nombreuses promesses dont la redistribution la terre à la majorité noire. A Un an des élections générales, l’ANC est de plus en plus sous pression pour mettre fin aux disparités sociales.