La filière céréalière marocaine résiste malgré un contexte mondial clairement défavorable.
Présentant de forts enjeux socio-économiques, le poids de la filière céréalière au Maroc ne peut être nié. La filière totalise, à elle seule, près de 71% de la surface agricole utile totale et génère 20% du chiffre d’affaires agricole global, avec des fluctuations selon les campagnes.
Aujourd’hui, la filière céréalière dans le monde est influencée par la guerre en Ukraine. Conséquence : forte sensibilité des acheteurs internationaux sur la disponibilité en matière première.
Selon le Ministère de l’agriculture, la production céréalière au Maroc est estimée à 32 millions de quintaux pour la campagne 2021/2022. Une très bonne saison de printemps limitant la baisse prévisionnelle du PIB agricole à 14%. « La campagne agricole 2021/22 a enregistré une pluviométrie qui a atteint 188 mm à fin avril 2022, soit une baisse de 42% par rapport à la moyenne des 30 dernières années (327 mm), et de 35% par rapport à la campagne précédente (289 mm) à la même date », indique un communiqué du Ministère.
La très faible pluviométrie, voire son absence dans plusieurs régions durant les premiers mois de l’année en cours, a engendré un stress affectant le couvert végétal et un retard de croissance des cultures d’automne, notamment les céréales. « Cette période a coïncidé avec le stade de tallage des céréales ; un stade de développement déterminant pour les rendements de ces cultures. Par conséquent, ce stress a induit une baisse des rendements plus ou moins importante selon les régions allant jusqu’à la perte des superficies dans certaines zones », explique la même source. Parallèlement, c’est en zones bour favorables du Nord du pays que les céréales ont connu une bonne reprise au printemps après les précipitations de mars et avril, entrainant un rattrapage en matière de productivité.
La production prévisionnelle des principales céréales (blé tendre, blé dur et orge) au titre de la campagne agricole 2021/2022 est estimée à 32 millions de quintaux, soit une baisse de 69% par rapport à la campagne précédente. Cette production résulte d’une superficie céréalière semée au titre de cette campagne de 3,6 millions d’hectares des 3 céréales. Par espèce, la production céréalière se présente comme suit : 17,6 millions Qx de blé tendre, 7,5 millions Qx de blé dur et 6,9 millions Qx d’orge.
Par ailleurs, plus de 60% de la production provient des zones favorables des régions de Fès-Meknès et de Rabat-Salé-Kénitra. Les céréales en zones irriguées n’ont contribué qu’à environ 20% à la production globale, en raison d’une part de la superficie irriguée limitée en céréales et d’autre part des restrictions d’irrigation dans les périmètres de la grande hydraulique.
Marché mondial des céréales : 5 millions de tonnes d’écart entre production et consommation
« La production mondiale en céréales est en constante augmentation en tendance », déclaré Anne-Laure Paumier, Directrice du département des relations internationales Intercéréales, lors d’un webinaire organisé ce mois par Team France Export. D’après elle, le secteur suit la demande mondiale, qui elle-même est en constante évolution. Or, dans le cadre d’une situation mondiale tendue, les flux et les prix du marché céréalier subissent l’impact incontestable de la guerre en Ukraine.
« L’ensemble des agriculteurs sur la planète produisent 2,3 milliards de tonnes de céréales par an (hors riz) », précise Mme Paumier. La première céréale produite dans le monde est le maïs (presque 1,15 milliards de tonnes), suivie par le blé (environ 800 millions de T), puis l’orge (150 millions de T). Enfin, les autres petites céréales représentent 150 millions de T. La particularité du secteur réside dans l’équilibre entre la production et la consommation. Cependant, le monde se trouve depuis 2017 dans une zone inférieure de production. Conséquemment, « chaque accident climatique qui va générer une production inférieur à la consommation mondiale, va soit conduire à puiser dans des stocks qu’on a construit précédemment, soit générer des ajustements de consommation », explique Mme Paumier.
Pendant la campagne actuelle, un écart de 5 millions de tonnes a été enregistré entre la production et la consommation de la filière céréalière. Pendant les dernières années, « la hausse de la consommation en céréales est due à une hausse de la consommation en alimentation animale. Celle-ci est tiré par l’évolution démographique, mais surtout de l’évolution du type d’alimentation et notamment de l’augmentation de la consommation des viandes, particulièrement en Chine », interprète Mme Paumier.
Guerre en Ukraine : impact direct sur les pays consommateurs
Sans doute, l’Ukraine et la Russie sont deux pays très présents sur les échanges de blé et de maïs (30% des échanges des céréales). À fin février dernier, « on estimait qu’il restait 5 millions de tonnes de blé en Ukraine qui attendait être commercialisés dans l’ensemble du marché mondial et environ 15 millions de tonnes de maïs », révèle Mme Paumier. D’après la même source, malgré la difficulté du passage des bateaux ukrainiens par la voie maritime, des marchandises ont transité par les frontières avec l’UE. « De son côté, la Russie a pu sortir l’essentiel des marchandises que l’on pensait », note-t-elle.
Les stocks chez les principaux exportateurs peinent à se reconstituer depuis 2018
Dans le même contexte, « on estimait pouvoir avoir des échanges de l’Ukraine vers l’UE pour repartir vers les consommateurs de l’Afrique du nord ou du Moyen-Orient ou d’autres pays. Malheureusement, aujourd’hui on estime avoir sorti 1,5 MT tout confondu et la moitié probablement serait du maïs », révèle Mme Paumier. Une indisponibilité qui affecte directement la sécurité alimentaire de certains pays très consommateurs et très dépendants (Liban, Iran, Israël, Lybie, Maroc, Tunisie, etc.) Pour le Maroc, « le pays demeure sous surveillance à cause de la grande sécheresse cette année, donc un besoin d’approvisionnement sur le marché mondial plus important », rappelle Mme Paumier.
Marché mondial du blé : seulement 25% de la production mondiale en blé est échangée
Pour l’instant, « la production mondiale de blé est à un niveau record, mais les stocks chez les principaux exportateurs peinent à se reconstituer depuis 2018 », déclare Mme Paumier. D’ici s’avère la portée des échanges entre les différentes zones de production et de consommation, déjà en progression ces 10 dernières années. Pour le blé, « 60 à 70% de la production mondiale est destinée à l’alimentation humaine. Ainsi, toute difficulté de production et de mise sur le marché d’échanges va tout de suite se matérialiser par des fortes variations de prix et de volatilité », alerte-t-elle. En parallèle, seulement 25% de la production mondiale en blé est échangée. D’un autre côté, le marché mondial du blé, enregistrant 190 millions de tonnes de blé échangées dans le monde, compte peu d’exportateurs pour une multitude d’importateurs.
Aujourd’hui, l’Ukraine et la Russie sont deux superpuissances exportatrices de matières premières. La Russie étant le premier exportateur mondial de blé depuis 2016, tandis que l’Ukraine prend de plus en plus de place dans les exportations de blé. Pendant la campagne 2021-2022, ce pays occupe la 3ème place. Pour les stocks finaux chez les principaux exportateurs, ceux-ci sont au plus bas depuis pratiquement 10 ans. « On arrive à un niveau de stock proche de 60 millions de tonnes. Ceci crée beaucoup de tension. Les stocks sont particulièrement bas en Europe et dans la région Mer Noire », déclare Mme Paumier. D’un autre côté, les stocks finaux en Ukraine vont augmenter (+3,7 Mt), Or, ils ne seront pas disponibles pour le marché export suite aux conditions actuelles.
Focus sur le marché mondial du maïs
La production mondiale et les échanges commerciaux en maïs ont fortement augmenté en 10 ans. À l’échelle internationale, 180 millions de tonnes de maïs sont échangés dans le monde. Le nombre d’exportateurs étant faible, 90% des échanges sont assurés par les États-Unis, Brésil, Argentine et Ukraine. « La particularité du secteur c’est la composition des acteurs sur le marché international et sur le marché des exports », note Mme Paumier. En première position, les États-Unis ont produit 385 millions de T de maïs en 2021. En 2ème position vient la Chine, pays très consommateur, puis le Brésil et l’Argentine et l’Ukraine.
En ce qui concerne les stocks finaux, les États-Unis enregistrent 35 millions de tonnes de maïs. Toutefois, « le secteur témoigne d’un stock beaucoup plus faible chez les autres acteurs du marché », indique Mme Paumier. En Ukraine, les stocks finaux en maïs sont actuellement estimés à 11,5 millions de tonnes. Or, ces stocks ne seront pas disponibles pour le marché export. « L’Ukraine exporte 80% de sa production de maïs. Le pays a doublé sa production et son volume exporté en 10 ans », conclut Mme Paumier.