La lutte contre les maladies, les ravageurs et les mauvaises herbes constitue un défi permanent pour les agriculteurs, notamment européens. Traditionnellement, l’utilisation de pesticides chimiques était la solution privilégiée en agriculture conventionnelle. Toutefois, face aux restrictions croissantes imposées par l’Union européenne et la stratégie « De la ferme à la table », visant à réduire de moitié l’usage des produits phytosanitaires d’ici 2030, les agriculteurs sont contraints de repenser leurs pratiques. C’est dans ce contexte que l’Université de Wageningen, à travers ses recherches novatrices, propose un tableau de bord pour une gestion intégrée des cultures.
Certaines cultures, comme les oignons, souffrent particulièrement de l’invasion des mauvaises herbes, un problème exacerbé par leur croissance lente. Historiquement, des herbicides comme la Pendiméthaline étaient utilisés pour combattre ces envahisseurs. Cependant, ce produit figure désormais sur la liste des substances que l’UE souhaite remplacer. Cela s’inscrit dans une volonté plus large de limiter l’impact des produits chimiques sur l’environnement et la santé publique.
Hilfred Huiting, chercheur à Wageningen Plant Research, met en lumière la nécessité d’adopter une approche plus holistique. Selon lui, l’urgence de trouver des alternatives est devenue plus pressante : « Les ressources disponibles ne suffisent plus, et les agriculteurs sont à la recherche de solutions viables. Certains réclament de nouveaux produits chimiques, mais beaucoup comprennent que l’avenir réside dans des méthodes plus durables. »
Repenser les systèmes de culture : L’exemple de la pomme de terre.
La gestion intégrée des cultures propose une révision complète des pratiques agricoles, en limitant au maximum l’usage de pesticides tout en maintenant la productivité. Huiting, aux côtés de sa collègue Marleen Riemens, travaille à la mise en place de systèmes où les maladies, les ravageurs et les mauvaises herbes ont peu de chances de s’implanter. Pour y parvenir, il est essentiel de combiner plusieurs approches : rotation des cultures, sélection de variétés résistantes, gestion adaptée du sol et utilisation judicieuse des traitements phytosanitaires. « Cela demande une réflexion approfondie quant aux ressources utilisées et à leur moment d’application », explique Huiting.
Un exemple concret est le projet mené sur les sols sableux du site de Vredepeel, initié en 2020. L’accent est mis sur la réduction des populations de ravageurs souterrains, tels que les vers fil-de-fer et les mille-pattes de la carotte, tout en limitant les impacts sur les cultures.
La culture de la pomme de terre est emblématique des défis rencontrés. Deux problèmes majeurs affectent cette plante : les nématodes dans le sol et les champignons Phytophthora infestans et Alternaria solani. Si les nématodes échappent à toute lutte chimique, le Phytophthora nécessite des traitements préventifs réguliers, car il peut détruire une récolte entière en l’espace d’une semaine.
Pour optimiser la lutte contre ces fléaux, Huiting et Riemens ont mis en place une rotation des cultures sur huit ans, intégrant des variétés de pommes de terre résistantes, l’une aux nématodes et l’autre au Phytophthora. En parallèle, les chercheurs ajustent la fréquence des pulvérisations en fonction des conditions climatiques, permettant de réduire de moitié le nombre de traitements nécessaires contre le Phytophthora. « Si le sol reste sec pendant plusieurs semaines, une pulvérisation devient inutile », précise Huiting.
Vers une gestion intelligente des cultures … Un avenir durable, mais à quel prix ?
L’innovation réside également dans l’utilisation de technologies avancées pour suivre en temps réel l’évolution des cultures et les risques de maladies. Des caméras et des outils de surveillance permettent de cibler précisément les zones nécessitant un traitement, évitant ainsi des pulvérisations inutiles sur l’ensemble des champs.
Le projet de tableau de bord développé par l’équipe de Wageningen devrait permettre aux agriculteurs de visualiser facilement les différentes options disponibles pour chaque culture et chaque situation. Cet outil regroupe les solutions possibles en matière de rotation des cultures, de gestion des sols et de lutte ciblée, tout en fournissant des indications sur les impacts sur le rendement, la qualité et les coûts.
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Huiting est optimiste quant à la possibilité de réduire de moitié l’usage des pesticides. « C’est faisable », affirme-t-il, mais il reconnaît que cela implique des compromis, tant pour les agriculteurs que pour les consommateurs. Les rendements pourraient devenir moins stables, certaines cultures pourraient disparaître des Pays-Bas, et les produits offerts dans les supermarchés pourraient voir leur disponibilité et leur qualité fluctuer.
Au sein de l’Union Européenne la transition vers une agriculture plus durable est donc à portée de main, mais elle exigera une flexibilité accrue de la part de l’ensemble de la société. Les agriculteurs devront adapter leurs stratégies, tandis que les consommateurs devront accepter des changements dans leur panier d’achat.