Siham Zahidi: « Greenlife, un centre d’immersion rurale pour une agriculture biologique et durable ».
Greenlife – Siham Zahidi, invitée d’AgriMaroc.ma, nous parle de ses réalisations en tant qu’agricultrice, entrepreneuse et consultante. Fortement impliquée dans l’agriculture bio, elle nous dresse un bilan de la situation actuelle de cette filière au Maroc.
AgriMaroc.ma : Pouvez-vous nous parler du concept de GreenLife ?
Siham Zahidi: GreenLife est un centre d’immersion rurale qui compte diverses activités. D’abord il y a une ferme où nous produisons des fruits et légumes, essentiellement des légumes biologiques sans intrants chimiques.
C’est aussi un lieu où nous hébergeons des personnes en immersion rurale pour qu’elles puissent goûter à la vie rurale : accomplir les tâches nécessaires à la vie de la ferme par exemple. Les personnes en immersion rurale viennent pour apprendre à vivre dans un milieu naturel et rural aux antipodes du milieu urbain.
En plus de cela, nous proposons des ateliers de formation agricole et des workshops dans le domaine du bien-être : alimentation saine, régénération, méditation, etc.
Nous avons aussi d’autres activités qui se passent en ville : nous commercialisons des paniers de légumes, nous faisons du coaching en agriculture urbaine. Cela consiste à aider les gens à mettre en place un potager soit dans un jardin soit sur une terrasse ou sur un toit. L’idée est d’apporter un peu de nature dans le milieu des grandes villes comme Casablanca.
AgriMaroc.ma : Comment vous est venue l’idée de créer GreenLife ?
Siham Zahidi: J’avais pour ambition de ne plus baigner dans des activités qui ont un rapport avec les intrants chimiques. C’est-à-dire continuer de travailler dans l’agriculture mais dans une agriculture durable qui n’a pas d’impacts négatifs sur l’environnement ni sur les consommateurs.
Je voulais donc créer un projet qui puisse englober toutes les activités que j’ai pu exercer par le passé notamment celles de formation, d’organisation d’événement et de coaching – j’ai une formation de coach – mais aussi la production agricole et la commercialisation. L’idée de créer GreenLife m’est venue naturellement : créer une ferme pour produire en biologique et l’animer avec des workshops et des événements divers.
GreenLife s’est mis en place pour répondre à toutes les activités qui nous intéressent, tout en ayant une activité stable – la production – comme soubassement de tout le reste.
AgriMaroc.ma : Qui anime les activités et workshops ?
Siham Zahidi: Nous faisons appel à des experts pour toutes les activités techniques comme la régénération, la naturopathie, etc. Les activités, pour lesquelles nous sommes compétents, nous les dispensons nous-mêmes.
AgriMaroc.ma : Avez-vous des projets pour le Centre GreenLife ?
Siham Zahidi: Nous pouvons décliner nos activités comme nous le voulons en fonction de ce dont a besoin le public. Nous pouvons par exemple faire des bootcamps en entreprenariat pour des jeunes qui aimeraient réfléchir sur des thèmes précis. Nous pensons également à développer les retraites spirituelles.
Dans ce contexte de ruralité et considérant ma passion pour les chevaux, l’un de mes projets majeurs consiste à développer petit à petit le coaching par le cheval. Cette pratique s’appelle l’equi-coaching.
AgriMaroc.ma : Que représente l’agriculture biologique au Maroc ?
Siham Zahidi: L’agriculture biologique ne pèse pas lourd dans le secteur agricole global du Maroc. Cette activité est faible, en termes de volume, par rapport à l’agriculture conventionnelle. Il n’y a pas beaucoup d’exploitations qui sont compétitives et qui produisent de façon régulière.
Il y a plusieurs sortes d’exploitations agricoles. D’abord, il y a celles qui font du biologique de façon intensive dans le but d’exporter leur production. Elles se situent majoritairement dans la région d’Agadir. Ce sont des exploitations bio mais elles produisent tout de même en intensif. Elles n’ont pas les mêmes objectifs que nous qui visons à établir un mode de vie.
Il y a aussi des petites fermes qui se situent en périphérie des grandes villes (Casablanca, Rabat, Salé, Marrakech). Elles produisent en se basant sur la technique de la permaculture mais leur production est plutôt faible en termes de volume et irrégulière. La permaculture consiste à associer différentes sortes de plantes et à utiliser un système de compostage (régénéré les feuilles).
Enfin, il y a d’autres fermes inspirées de la permaculture. Mais elles ont plus pour objectif de produire que d’établir un mode de vie, comme nous le faisons.
AgriMaroc.ma : A votre avis, qu’est-ce qui freine l’expansion de l’agriculture bio au Maroc alors qu’aujourd’hui le consommateur marocain est demandeur de ce genre de produit ?
Siham Zahidi: Je pense qu’il y a un réel problème au niveau de la commercialisation et de la distribution des produits bio. Il y a un manque de régularité dans l’approvisionnement en produits biologiques car la gestion logistique des plantations, des semis, des récoltes et d’acheminement vers les villes est difficile. De plus, les producteurs ne sont pas de bons commerciaux en termes de recherches de points de vente par exemple.
Par conséquent, il n’y a pas assez de points de vente qui sont ouverts chaque jour et qui peuvent proposer ce genre de produits aux consommateurs marocains. La plupart des points de vente de produits bio sont des marchés paysans qui sont mis en place les samedis ou dimanches de façon hebdomadaire ou toutes les deux semaines, cela dépend des villes et des quartiers. Cela ne colle pas avec les habitudes du consommateur marocain qui achète ses fruits et légumes dans des marchés de quartier, et ce, de façon quotidienne.
Les primeurs des marchés de quartier ne voient pas encore l’intérêt de commercialiser des produits sans pesticides et sans engrais qui coûteraient plus chers, seraient moins beaux, et dont l’approvisionnement serait moins régulier.
Peut-être qu’il manque un organisme ou une structure qui pourrait jouer le rôle d’intermédiaire entre les producteurs et les points de vente. Cela permettrait de normaliser la commercialisation de produits bio dans n’importe quel marché de fruits et légumes dans les villes du Maroc.
AgriMaroc.ma : En tant que productrice bio, quelles sont les contraintes que vous rencontrez ?
Siham Zahidi : L’idée de la permaculture c’est de faire vivre un sol sainement sans aucun apport. Une fois l’équilibre naturel établi, la nature fait son travail : les nuisibles sont éradiqués naturellement par d’autres insectes. L’approvisionnement en semences anciennes est très difficile. L’objectif de produire bio c’est aussi d’utiliser des semences qui ne sont pas hybride (SA). Les semences anciennes donnent des fruits et légumes plus riches en éléments nutritifs et donc très bons pour la santé, ce qui n’est pas le cas des semences SA – je ne parle pas des OMG, seulement des semences hybrides .
Les semences hybrides offrent une “résistance” à certaines maladies ou ravageurs. En faisant le choix d’utiliser des semences anciennes, la culture est plus difficile. Nous ne sommes pas bien équipés en termes de protection de culture puisque nous ne pouvons pas utiliser de pesticides et d’engrais. Par conséquent, les plantes peuvent attraper n’importe quels virus ou maladies. On ne peut pas non plus prévoir si un semis va marcher ou non. Voilà pourquoi il est difficile d’avoir une production stable, régulière et prévisible. L’agriculture bio, comme nous la pratiquons, n’est pas aussi facile à mener qu’en biologique intensif ou en conventionnel.
L’enjeu et l’objectif de l’agriculture biologique au Maroc c’est de pouvoir offrir de façon régulière des produits bio à un prix qui soit raisonnable et accessible pour une ménagère de la classe moyenne
AgriMaroc.ma : Qui sont vos clients/cibles ?
Siham Zahidi : Pour l’instant l’essentiel de ma clientèle est composée de francophones (marocains de la classe aisée) et expatriés. Mais l’objectif premier de mon projet n’est pas de nourrir l’élite uniquement. J’aimerais arriver à être compétitive et essayer de fournir des produits qui soient abordables pour la majorité des ménages, à Casablanca et El Jadida du moins. A la base c’est un projet social donc l’objectif est de réussir à développer la commercialisation pour influencer les producteurs de la région de Oualidia pour qu’ils puissent se convertir petit à petit au bio. Ce serait aussi une façon de se démarquer des agriculteurs de la région d’Agadir.
AgriMaroc.ma : Quels sont vos objectifs / vos projets d’avenir ?
Siham Zahidi : Comme je viens de l’expliquer, l’accessibilité au bio est l’objectif primordial du projet. Nous souhaitons réussir notre expérience dans l’objectif de convaincre les autres petits producteurs de la région maraîchère de Oualidia de lancer au moins quelques parcelles en bio pour pouvoir se convertir petit à petit.
Les producteurs de Oualidia vendent au même prix que ceux d’Agadir alors qu’ils n’ont pas les mêmes moyens. Par conséquent, ils ne peuvent pas concurrencer. Par exemple pour la tomate, dès qu’un producteur de Oualidia met ses produits sur le marché, il entre en concurrence directe avec le producteur d’Agadir qui déverse le surplus de production sur le marché local à des prix cassés, ils font du « dumping ». Il faut donc qu’ils sachent qu’il est possible de commercialiser le bio à meilleur prix que le conventionnel. Notre but c’est aussi de pouvoir aider ces producteurs-là à survivre à travers la production bio, dont les produits sont très demandés sur un marché qui n’est pas loin : Casablanca.
AgriMaroc.ma : Quel message aimeriez-vous faire passer aux agriculteurs ?
Siham Zahidi : Le message que je voudrais faire passer c’est qu’il faut encourager un peu plus la production de fruits et légumes sans intrants chimiques au niveau national. Les producteurs entre eux gagneraient à collaborer plutôt que d’être en concurrence car nous n’avons jamais assez de marchandise pour toute la population marocaine : il y a de la place pour tout le monde. Ce serait intéressant que les producteurs se regroupent et essayent de travailler ensemble, les techniques par exemple afin de les améliorer. Si nous regardons les historiques de production dans des régions en conventionnel, comme Agadir, nous pouvons observer que les producteurs ont gagné des batailles parce qu’ils se sont associés pour lutter ensemble, comme par exemple avec la mouche blanche ou Tuta absoluta. Ils ont mis en place des techniques tous ensembles et c’est ça qui a fait que la région s’est maintenue comme leader dans la production.
Nous voudrions faire la même chose mais pour la production sans intrants chimiques qui vise à établir un mode de vie au sein de la ferme et préserver un écosystème riche.
Merci à Madame Siham Zahidi. Propos recueillis.
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