1. La segmentation des marchés des produits agricoles au Maroc.
Dans le monde complexe et dynamique du commerce des produits agricoles, la diversité des besoins et des désirs des consommateurs crée un défi majeur pour les entreprises. Face à une multitude d’acheteurs potentiels aux caractéristiques variées, une stratégie uniforme de commercialisation est souvent inefficace.
C’est là que la segmentation des marchés entre en jeu. En effet, plutôt que de tenter de s’adresser à tous les consommateurs, les entreprises ont intérêt à identifier et à cibler des segments spécifiques de marché qui partagent des caractéristiques similaires. Cette approche permet de mieux répondre aux besoins et aux attentes des clients tout en maximisant les ressources et les efforts marketing.
Pour segmenter les marchés s’adressant aux particuliers, on utilise deux catégories de critères : ceux qui décrivent des caractéristiques intrinsèques des consommateurs (segmentation géographique, sociodémographique et psychographique) et ceux qui décrivent leurs comportements à propos de la catégorie de produit concernée (situations d’achat, avantages recherchés, mode d’utilisation, sensibilité au prix…).
La segmentation géographique consiste à découper le marché en différentes unités territoriales : pays, régions, départements, villes, quartiers en fonction de la localisation géographique des consommateurs. Dans le contexte marocain, cette approche met en lumière des habitudes culinaires traditionnelles uniques associées à certaines régions. Par exemple, l’huile d’argan est plus couramment consommée dans les régions du sud.
Il existe également des différences notables entre les milieux urbains et ruraux en termes de préférences alimentaires, probablement influencées par l’accès à une plus grande variété de produits et les influences culturelles en milieu urbain.
Le tableau ci-dessous illustre l’évolution de la structure des dépenses alimentaires au Maroc selon le milieu de résidence (urbain ou rural) et la nature des produits alimentaires.
D’après le tableau 1, on observe que les ménages urbains préfèrent les produits agricoles tels que les produits laitiers, les œufs, les poissons, et les fruits. À l’inverse, les ménages ruraux privilégient les produits agricoles tels que les corps gras, les légumes frais, le sucre, les produits sucrés, le thé, le café, et les plantes d’infusion.
La segmentation sociodémographique des produits agricoles fait référence à la segmentation du marché en fonction de variables sociodémographiques des consommateurs telles que l’âge, le sexe, le revenu, etc.
En agriculture, cette segmentation peut être particulièrement pertinente pour adapter les stratégies de production, de marketing et de distribution en fonction des différentes demandes des segments de consommateurs. Voici un exemple de la segmentation des produits agricoles au Maroc basée sur le niveau de vie des ménages. (Figure 1) :
N.B : La population est partagée en cinq classes égales en termes d’effectifs après rangement des individus suivant la valeur croissante de la dépense annuelle moyenne par tête. En 2014, ces classes sont les suivantes.
- Quintile 1 : La dépense annuelle moyenne par personne (DAMP) est moins de 7 149,77 DH.
- Quintile 2 : La DAMP est de 7 149,77 à moins de 9 964,29 DH.
- Quintile 3 : La DAMP est de 9 964,3 à moins de 13 639,8 DH.
- Quintile 4 : La DAMP est de 13 639,8 à moins de 20 395 DH.
- Quintile 5 : La DAMP est de 20 395 DH et plus.
D’après l’analyse des coefficients budgétaires de chaque type d’aliment selon le niveau de vie des ménages, que certains produits alimentaires fonctionnent comme de véritables « marqueurs sociaux » de la population. En effet, pour les ménages les moins aisés, leur panier comporte moins de poisson, de produits laitiers et œufs, de fruits dont le poids est inférieur à la moyenne nationale, mais davantage de céréales, de corps gras, de sucre et de légumes et légumineuses dont les poids dépassent les niveaux nationaux. Cette composition du panier alimentaire est inversée chez les ménages les plus aisés.
Les consommateurs d’un même groupe divisés selon des normes géographiques et démographiques présenteront toujours des différences dans la demande pour des produits similaires, qui peuvent être dues à des facteurs psychologiques du consommateur. Les facteurs
psychologiques incluent des variables telles que la personnalité, les motivations d’achat, les valeurs, le style de vie et les intérêts poursuivis, etc.
Dans le contexte de la segmentation psychologique des produits agricoles au Maroc, l’attention est spécifiquement dirigée vers les attitudes et les comportements des consommateurs marocains vis-à-vis des produits agricoles. Voici quelques aspects de la segmentation psychologique dans le contexte des produits agricoles au Maroc :
- Styles de vie :
Les habitudes de vie, les valeurs et les activités de loisirs des consommateurs marocains peuvent influencer leurs préférences alimentaires. Certains consommateurs peuvent privilégier des produits biologiques en raison de leurs valeurs écologiques ou de leur mode de vie.
- Attitudes envers la santé :
La perception de la santé et du bien-être peut influencer les choix alimentaires. Certains consommateurs peuvent être sensibles aux aspects nutritionnels des produits agricoles et préférer des aliments frais et naturels.
- Attitudes culturelles et traditionnelles :
Les aspects culturels ont une influence notable sur les préférences alimentaires au Maroc. Certains consommateurs accordent une grande importance aux produits agricoles traditionnels « Beldi » et aux produits purs « Hor » en raison de leur valeur culturelle. Ces produits représentent un segment sur lequel le Maroc s’est appuyé pour promouvoir et valoriser les produits de terroir, notamment avec le Plan Maroc Vert (PMV) lancé en 2008.
Le dernier critère est la segmentation comportementale, qui consiste à diviser les acheteurs en groupes distincts en fonction de leurs connaissances, attitudes, utilisations et réactions aux produits. Dans ce cadre, les consommateurs marocains peuvent être segmentés d’abord selon la fréquence d’achat, en distinguant les acheteurs réguliers, occasionnels et non-acheteurs de produits agricoles. Une autre approche consiste à segmenter les consommateurs en fonction du volume d’achat, c’est-à-dire la quantité de produits agricoles qu’ils achètent à chaque transaction. Cette méthode aide à identifier les segments de clients qui achètent en gros par rapport à ceux qui préfèrent des quantités plus petites. Cette segmentation par volume d’achat explique pourquoi les marchés de produits agricoles offrent des produits tels que des raisins ou des melons en petites quantités, afin de répondre aux préférences de ce segment de consommateurs marocains.
2. L’impact de la segmentation des marchés agricoles : cas des produits de terroir au Maroc
Afin de démontrer l’impact économique de la segmentation des marchés des produits agricoles au Maroc, nous allons nous concentrer sur l’étude de l’influence d’un segment particulier de consommateurs marocains qui privilégient les produits « beldi ».
Le Maroc, un pays connu par sa diversité culturelle transmise à travers les générations et sa grande richesse en biodiversité reflétée par la multitude des écosystèmes écologiques, est un grand réservoir de produits de terroir dont plusieurs sont endémiques. Une liste de plus de 200 produits du terroir a été identifiée dans le cadre des études régionales d’identification des produits du terroir. C’est dans ce sens qu’il avait l’élaboration de la loi 25-0.6 relative aux signes distinctifs d’origine et de qualité (SDOQ) des produits agricoles et des denrées alimentaires et des produits agricoles et halieutiques, promulguée par le Dahir n° 1-08-56 du 17 Joumada I 1429 (23 mai 2008).
Ce texte juridique permet la valorisation des produits du terroir grâce à sa reconnaissance de leurs spécificités dues à l’origine géographique, au savoir-faire des populations locales et/ou à leurs conditions d’obtention et de transformation. Les 3 signes retenus par cette loi sont : le label agricole (LA), l’indication géographique (IG) et l’appellation d’origine (AO).
Figure 2: L’intervention des axes de la stratégie du développement et de la commercialisation des produits de terroir dans les différents niveaux de la chaine de valeur. Source : ada.gov.ma
Le Plan Maroc Vert a accordé de l’importance aux produits du terroir à travers le lancement de la stratégie du développement de la commercialisation des produits du terroir, qui a identifié plusieurs axes d’intervention prioritaires à différents niveaux de la chaîne de valeur
Pour faciliter la vente des produits de terroir des coopératives, le ministère de l’Agriculture et l’Agence pour le développement agricole ont conclu des partenariats avec les grandes chaînes de distribution, notamment Marjane, Acima, Label’Vie-Carrefour et Aswak Assalam, afin d’élargir la commercialisation de ces produits.
En vue d’améliorer les performances commerciales et les revenus des producteurs des produits du terroir, le Ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Économie Numérique (Barid Al Maghrib) et le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime (ADA) ont signé une convention de partenariat en 2014 pour offrir aux groupements producteurs des produits de terroir une plateforme pour la vente en ligne de leur production. Ainsi chaque coopérative/groupement sera présent sur le net ce qui va promouvoir les ventes.
La participation dans les foires et les manifestations nationales et internationales constitue aussi un des points importants dans le développement de nouveaux marchés surtout à l’étranger.
Le secteur des produits de terroir bénéficie d’une attention particulière, notamment depuis la mise en œuvre du Plan Maroc Vert en 2008. Pendant cette période, 66 produits ont été labellisés (MAPMDREF, 2019). La production annuelle des produits du terroir marocain est estimée à plus de deux millions de tonnes, avec un potentiel de chiffre d’affaires dépassant les 14 milliards de dirhams par an.
Ce secteur dynamique englobe plus de 3 000 groupements de producteurs, tels que des coopératives, des GIE (Groupements d’Intérêt Économique), des unions, etc. Il se distingue par une forte participation féminine, avec plus de 50% de l’ensemble des adhérents composé de femmes. Entre 2008 et 2018, le nombre de journées de travail générées annuellement par groupement a enregistré une croissance significative de 147%.
Les chiffres et réalisations de cette filière semblent très prometteurs et suggèrent que nous avons réussi à valoriser les produits de terroir et à garantir un revenu pour leurs producteurs. Cependant, en réalité, ces produits rencontrent des difficultés à accéder aux grandes surfaces en raison des exigences des marchés en termes de qualité, de quantité et de régularité — trois aspects souvent peu maîtrisés par les coopératives marocaines, y compris celles spécialisées dans les produits de terroir. De plus, plusieurs études montrent que peu de consommateurs marocains connaissent réellement les produits de terroir, principalement en raison du manque de promotion malgré les efforts de l’ADA et du ministère de l’Agriculture.
Enfin, avant de labelliser un produit de terroir, il est crucial de mener des études de marché pour s’assurer que le produit répondra aux attentes du marché et atteindra les objectifs fixés.
CHNAFI Salah-Eddine – Encadré Pr. MOKHTARI Noureddine
CHNAFI Salah-Eddine
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