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A Houderrane, les agriculteurs ont raison d’être réticents vis-à-vis du semis direct

Merci au Professeur HAMMADA Lahsen

Les agriculteurs de Houderrane ont raison d’être réticents vis-à-vis du semis direct.

Situé  à 30 kilomètres environ au Sud-Ouest de la ville de Khemisset, le village « Souk Jemaa Houderrane » est le siège de la commune rurale marocaine de Houderrane, qui relève administrativement du Caïdat de Mâaziz, du cercle d’Oulmès et de la province de Khémisset elle même faisant partie de la région de Rabat-Salé-Kénitra.

Dans le cadre du plan Maroc Vert et au niveau du pillier II, un projet d’intensification des céréales-semis direct a été lancé en 2017 et concerne 227 agriculteurs de la commune rurale de Houderrane.

Le Vendredi 23/12/2019 était le jour de ma visite d’encadrement d’un groupe d’étudiants de la quatrième  année de l’Ecole Nationale d’Agriculture de Meknès en stage dans la province de Khémisset. Le thème du stage s’intitule: « les contraintes de développement du semis direct (commune rurale de Houderrane). Ce vendredi était également le jour du marché à Houderrane.

De mes entretiens avec les étudiants, en présence du chef du centre  de conseil agricole (CCA)  de Maaziz, et aussi avec certains agriculteurs de la région, il semblerait que l’introduction du semis direct à Houderrane est confronté à un certains nombre de contraintes :

  • Non disponibilité des semoirs de semis direct en nombre suffisant. En effet, Les agriculteurs sont astreints à attendre leurs tours selon un programme préétabli et mobilisant seulement trois semoir pour toute la région, ce qui entraine un retard des opérations de semis;
  • Les semoirs de semis direct disponibles sont très lourds et dépassent les capacités de levage et de traction de la majorité des tracteurs appartenant aux agriculteurs;

Suite à ces premières impressions, j’ai décidé de visiter la coopérative «  Maroc Vert » située à quelques kilomètres du village de Houderrane.

Caractéristiques techniques du tracteur:

Caractéristiques techniques du semoir:

Le conseiller agricole m’annonçait que c’est un bon semoir  et que  les essais qu’ils ont menés étaient concluants. Toutefois quelques vérifications s’imposent.

Regardons coté semoir. Située à une hauteur de plus d’un mètre, la trémie, resserrée à sa partie inférieure, facilite l’écoulement des graines à travers des orifices de forme rectangulaire vers les organes de distribution à ergots.

Chaque ergot (Fig.3) entraîne les graines vers la goulotte. Le réglage du débit des graines prélevées est assuré par changement de la vitesse de rotation de l’arbre d’entrainement des ergots. La distribution dite «accompagnée» de ce système, permet un réglage rapide et facile aux grands comme aux petits débits.

La régularité de semis du même semoir utilisé à Houderrane a été évaluée auparavant à l’unité de Machinisme Agricole de L’Ecole Nationale d’Agriculture de Meknès. Le semis (Orge) est réalisés  sur des planches graissées afin d’éviter le rebondissement des graines. La dose de semis adoptée est de 150 kg/ha et les essais sont conduits à une vitesse très lente (3 km/h) sans pratiquement de vibrations. Ces essais montrent que la régularité du semis est affectée par la hauteur de chute des graines le long des tubes de descente, et ce malgré  la qualité jugée satisfaisante du système de distribution à ergots. La qualité de distribution de ce système est vite détériorée à son aval par la hauteur de chute des graines le long des tubes de descente. Sur la ligne de semis apparaissent des poquets de graines ou des graines individuelles très espacées.

Des observations de poquets après la levée sur la parcelle de Houderrane (Fig.4) corroborent les tests du même semoir utilisé par les agriculteurs.

La base de la trémie étant située à une hauteur de plus d’un mètre, le temps de parcours des graines prélevées dans les tubes de descente et très grand et très variable dépendant de leur inclinaison par rapport à la surface du sol, à leur  rugosité interne et du frottement graines-tube, de la vitesse d’avancement, de la variabilité de la résistance du sol, du pouvoir de pénétration des socs, de la flexibilité des étançons (vibrations) et de la présence de résidus et de petites mottes dans le sillon. Les graines zigzaguent dans les tubes de descente, s’entrechoquent, rebondissent plus au moins dans le sillon et la régularité de semis se trouve affectée quelque soit la qualité du système de distribution. Il en résulte la présence sur la ligne de semis des poquets de graines, des manques, des graines isolées, et une mauvaise répartition affectant la structure future du peuplement à l’hectare (Fig.5).

Ce diagnostique montre également que centaines plantes ont levé entre les lignes de semis (Fig.6). Ceci est expliqué essentiellement par l’effet ratissage des résidus entrainés par le coutre et par la herse de recouvrement auxquels se sont accrochés les résidus de la culture précédente (Fig.7). Cet effet de queue de poisson des résidus entraine des déplacements latéraux des graines au moment de leur chute et l’apparition de plantes levées entre les lignes. Ceci fait apparaitre une structure de peuplement différente de ce qui est attendu au départ d’un semis en ligne et par conséquent un effet sur le rendement final. En effet, le semoir de semis direct utilisé à Houderrane n’est pas équipé d’organes de coupe et de dégagement des résidus de façon à ne pas gêner ni la régularité de dépôt des graines sur les lignes de semis ni leur profondeur.

Nous avons aussi constaté lors de notre diagnostic que certaines graines défavorisées des poquets observés ont été asphyxiées et ont pourries alors que d’autres ont germées mais non levées (Fig.8). Seulement une proportion du lot arrivait à germer et lever. Ces dernières plantes entreront en compétition sur la lumière, sur l’eau et les éléments fertilisants et une partie finira finalement par avorter. Le peuplent final qui est l’une des composantes principales du rendement est affecté dès le départ.

Lors de nos observations, nous avons relevé, au niveau de l’horion immédiat du système racinaire en début de son développement un tassement excessif du sol et la présence d’une semelle de labour (Fig.9). Ceci entravera le développent ultérieur du système racinaire des plantes et l’affectation du rendement final. Le tassement du sol constaté a été hérité des opérations antérieures et n’a pas été corrigé avant la mise en place du semis direct.

Le semis direct a été pratiqué à Houderrane en monoculture (Orge sur Orge), ce qui a favorisé le développement de la rouille et l’infestation de toute la parcelle par cette maladie (Fig.10). Une rotation légumineuse-orge par exemple aurait permis d’éviter l’apparition de la maladie et améliorera, en outre, la fertilité et la structure du sol, qualités recherchées derrière la pratique du semis direct.

Le semoir utilisé à Houderrane dispose d’une double trémie et permet également une localisation des engrais dans la ligne de semis avec les semences. En effet, la localisation d’engrais au semis des céréales est rendue possible par la disponibilité de plusieurs systèmes de localisation sur les semoirs. Les différents systèmes se différencient par le mode de placement de l’engrais par rapport à la semence. Pour les matériels plaçant l’engrais au plus près de la semence, comme le semoir utilisé à Houderrane, des phénomènes de toxicité sont à craindre, particulièrement pour l’urée à de fortes doses. Pour les semoirs pour semis direct, il est conseillé de  positionner l’engrais à coté et en dessous de la ligne de semis (Fig.11).

Lors de nos entretiens avec certains agriculteurs de Houderrane et avec le chef du centre  de conseil agricole (CCA)  de Maaziz, il s’avère que les semoirs de semis direct disponibles sont très lourds et dépassent les capacités de levage et de traction de la majorité des tracteurs appartenant aux agriculteurs.

A première vue, le poids du tracteur et la configuration du semoir ne devrait pas poser de problème pour utiliser cet ensemble au semis. Toutefois, il faudra prendre un certains nombre de précautions.

Le semoir est attelé au tracteur via trois points et dispose de roues de jauge et est donc semi-porté au travail et porté pendant son relevage. En statique, le report de charge lorsque le semoir est posé au sol est nul. Par contre, le report de charge sur l’essieu arrière au moment du levage du semoir est très important nommant en dynamique lors des déplacements au niveau des tourières et peut dépasser les capacités de relevage du tracteur. Durant l’opération de semis et étant donné que le semoir est semi-porté au travail, il y’a un report de charges dynamiques sur les essieux du tracteur. Les roues avant quittent souvent le sol par cabrage vibrant et l’adhérence est affectée, ce qui se traduit par un glissement et une mauvaise exploitation des possibilités de traction avant du tracteur.  Dans ces conditions, il faudra vérifier les réglages de l’attelage trois points ou recourir, ci nécessaire à un lestage minimum avant du tracteur. Le fonctionnement de l’ensemble tracteur-semoir, en interaction avec le sol, est dépendant en partie des poids, de la convergence des bras d’attelage (supérieur et inférieurs) et du mode de contrôle d’attelage trois-points. Ces opérations sont souvent ignorées de la part des utilisateurs, par les conseillers agricoles eux meme et par les non spécialistes en machinisme agricole.

Nous pensons que la contrainte relative à l’incapacité des tracteurs de la plupart des agriculteurs de Houderrane à lever le semoir au niveau des tournières et même le tirer convenablement, sans glissement excessif, lors de l’opération de semis, relève en grande partie de la non maîtrise des réglages nécessaires. Ces hypothèses restent à étayer par des calculs de report de charges dynamiques et par des essais sur le terrain.

Conclusion:

A travers notre diagnostic et à travers nos entretiens avec les agriculteurs et avec les diférents responsables, il apparait que l’adoption par les agriculteurs de la technologie du semis direct est confrontée a un certains nombre de contraintes

Les contraintes techniques

Les contraintes techniques sont essentiellement liées au manque de compétences et du savoir-faire en matière de choix et de maitrise des équipements agricoles en général et de l’ensemble semoirs de semis direct-tracteur en particulier.

Les contraintes institutionnelles

Au niveau institutionnel, il y’a un manque de coordination et de communication entre DPA, CCA et les agriculteurs et un vrai clivage entre la recherche et le transfert de technologie nécessitant l’implication de toutes les compétences, chacun dans sans domaine.

Les contraintes économiques

La contrainte économique réside essentiellement dans le faible revenu des agriculteurs, ce qui limite leurs investissements, ainsi que les aides très limitées de l’état et les faibles budgets alloués à la recherche-développement.

Les contraintes sociologiques et psychologiques

Les agriculteurs ne sont pas rassurés par la réussite de cette nouvelle technologie qui est le semis direct.  Dans l’inconscient collectif, pour accéder au trésor, il faudra creuser et travailler plus la terre en profondeur et les agriculteurs ne sont pas prêts à abandonner le semis conventionnel.  Des efforts de démystification de la technologie en question et de sensibilisation  par des outils simples et adaptés en conseil agricole et en véritable synergie avec la recherche doivent être déployés pour l’adoption du semis direct.

Au regard de l’ensemble de ces contraintes et notamment techniques, les agriculteurs ont raison d’être très réticents vis-à-vis du semis direct à Houderrane.

Par le Professeur Lahsen HAMMADA
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Un commentaire

  1. j’apprécie la clarté de l’article . Merci au professeur auteur de l’article d’être très pertinent et concis.

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